L’article publié par Bana Jabri et son équipe dans Science explore une hypothèse ancienne, le rôle d’une infection intestinale dans le déclenchement de la maladie cœliaque, une maladie apparentée aux maladies autoimmunes induite par l’ingestion de gluten chez des sujets prédisposés (à bien distinguer des hypersensibilités au gluten récemment décrites dont on ne comprend pas le mécanisme).
L’article montre de façon convaincante chez la souris qu’une infection virale peut interférer avec la mise en place de la tolérance immunitaire aux protéines alimentaires, un mécanisme protecteur indispensable pour éviter des réponses allergiques ou inflammatoires lors de l’ingestion d’aliments.
Les auteurs suggèrent plus particulièrement le rôle d’un réovirus capable d’infecter l’intestin murin de façon transitoire et silencieuse (sans induire de lésions)
Le mécanisme n’est pas complètement élucidé mais implique un facteur soluble (interféron) produit de façon très habituelle en cas d’infection virale, quelque soit le virus.
Ce facteur inhibe la réplication virale et stimule les réponses immunes. Il est donc nécessaire pour la protection contre les virus. Cependant, en activant le système immunitaire, il peut aussi favoriser des réponses immunes excessives à l’origine de pathologies inflammatoires. Ce rôle délétère est par exemple bien démontré dans une autre maladie auto-immune, le lupus.
L’infection par ce réovirus peut-elle déclencher la maladie cœliaque ? Il est important de noter que dans les modèles murins étudiés, l’infection par le virus n’induit pas les lésions intestinales caractéristiques de la maladie cœliaque, y compris dans un modèle de réponse au gluten chez des souris modifiées pour exprimer le principal facteur génétique de prédisposition de la maladie. Les auteurs suggèrent que le virus pourrait créer des conditions locales favorisant la maladie sans être suffisant seul.
L’hypothèse d’un facteur infectieux déclenchant la maladie cœliaque est ancienne et a été explorée de façon récurrente depuis 30 ans. Le rôle de plusieurs agents infectieux dont d’autres virus, (notamment le rotavirus) a été proposé puis soit récusé, soit resté incertain. Ici les auteurs montrent que le sérum des patients cœliaques contient des quantités d’anticorps contre le réovirus plus élevées que des sujets contrôles. Il s’agit là d’une simple corrélation qui ne démontre pas de lien de cause à effet. Néanmoins, cette observation encourage à approfondir un rôle possible du reovirus. Il pourrait à ce titre être intéressant de s’appuyer sur l’étude de cohortes d’enfants prédisposés génétiquement et suivis depuis leur naissance pour rechercher si la détection du réovirus ou à l’apparition d’anticorps contre ce virus sont contemporains de l’apparition de la maladie.
Les auteurs proposent, si leur hypothèse se vérifie, qu’un vaccin puisse être utile pour prévenir la maladie cœliaque. Une telle proposition, si elle est logique dans le cadre du travail expérimental présenté, ne pourrait s’envisager que si l’implication d’un réovirus était formellement démontrée chez l’homme dans la maladie cœliaque. Or, comme déjà indiqué, les nombreuses autres pistes infectieuses successivement suivies dans la maladie cœliaque se sont révélées décevantes. Il est tout à fait possible , comme cela est dit dans l’article,
que différents virus capables d’infecter l’intestin (ils sont nombreux) puissent altérer au moins transitoirement les mécanismes de tolérance aux protéines alimentaires. Une grande prudence s’impose avant de généraliser les résultats concernant le virus étudié dans cet article et envisager un vaccin.
Docteur Nadine Cerf-Bensussan, Directeur de recherche à l’INSERM, dirige l’unité interactions de l’épithélium intestinal et du système immunitaire dans l’Institut IMAGINE et l’Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité.